Wagner Moura de “Narcos” : “J'ai peur de ne pas pouvoir me débarrasser de Pablo Escobar”




Rencontre avec l'acteur brésilien, qui incarne le célèbre narcotrafiquant colombien dans “Narcos”, dont la saison 2 arrive vendredi 2 septembre sur Netflix.

Sa moustache a laissé place à une barbe de trois jours, son embonpoint a disparu et avec lui son accent hispanique, mais Wagner Moura jure que Pablo Escobar le suit comme son ombre. L'acteur brésilien, quarante ans, n'avait pas grand-chose en commun avec le plus tristement célèbre des barons de la drogue quand son compatriote José Padilha lui a proposé de l'incarner dans la série de Netflix, biopic romancé dont la saison 2 est lancée ce vendredi 2 septembre. Pour devenir Escobar, il s'est installé en Colombie, a appris l'espagnol, pris du poids, et tâché de laisser ses émotions, sa compréhension intime de ce personnage terrifiant, guider son interprétation. Nous avons pu en discuter avec lui, lors de son passage à Paris en juillet dernier.

Vous êtes brésilien et vous incarnez l'un des plus célèbres Colombiens de l'histoire. Ça vous a aidé, d'être un outsider ?
Ça a été très difficile. J'ai été très souvent critiqué, non seulement parce que je ne suis pas colombien, mais aussi parce que l'espagnol n'est pas ma langue maternelle. Peut-être cela m'a-t-il permis de porter un regard différent sur Pablo Escobar. L'histoire de la Colombie est divisée en deux périodes, avant Pablo, et après Pablo. Les Colombiens sont profondément immergés dans ce contexte, ils le connaissent bien mieux que moi, mais ont moins de recul.
Vous n'êtes pas le seul étranger sur le tournage de Narcos. Il y a des Mexicains, des Chiliens, des Américains… Ce caractère international a-t-il une incidence sur la série ?
Absolument. Personnellement, j'ai toujours regretté l'isolation culturelle du Brésil, qui est historique. La culture hispanique autour de nous est incroyablement riche, mais nous ne nous ouvrons pas assez à elle. Quand j'ai débarqué sur le tournage, j'ai rencontré la crème des comédiens mexicains, argentins, colombiens, chiliens… dont je n'avais jamais entendu parler. C'était très embarrassant. Pour la première fois de ma vie, je me suis senti américain du Sud, partie de quelque chose de plus grand que le Brésil. Il y a autre chose qui connecte les Brésiliens, les Colombiens, les Mexicains ou les Boliviens, c'est le trafic de drogue. Aujourd'hui, le Mexique est devenu un narco-Etat comme l'était la Colombie il y a trente ans. Réunir des acteurs et des techniciens de tous ces pays dans un même projet prend un sens politique – y compris les Américains, qui sont les principaux destinataires de la marchandise.



Vous avez dû apprendre l'espagnol. Comment cet apprentissage vous a-t-il permis de rentrer dans votre personnage ?
Apprendre une langue à quarante ans est un enfer. J'ai emménagé en Colombie avec mes enfants pour préparer le rôle, et en trois mois leur espagnol était meilleur que le mien. J'ai peu à peu réussi à discuter avec les gens, au quotidien, mais c'est tout autre chose d'incarner un homme comme Pablo Escobar et de le faire parler dans sa langue maternelle sans que cela ne s'entende ! Une partie de mon cerveau était concentrée sur mon interprétation, et l'autre sur la prononciation correcte des dialogues… C'était épuisant. Ceci étant dit, cet effort pour me rapprocher de lui m'a aidé à me coltiner le personnage.
Avez-vous cherché à imiter sa voix, son accent, en écoutant des enregistrements, par exemple ?
Pas vraiment. J'ai dû voir absolument tous les documentaires, lu tous les livres sur lui, toutes ses interviews, écouté tous les reportages radio… mais j'ai choisi de ne pas essayer de parler comme lui. Mon accent brésilien aurait fini par percer ici ou là, et ça aurait été ridicule. C'est aussi une décision artistique globale de Narcos de ne pas demander à des comédiens venus des quatre coins de l'Amérique latine d'imiter les accents de leurs personnages. Nous avons visé, au contraire, une sorte d'accent hispanique le plus neutre possible.
Vous avez pris beaucoup de poids pour incarner Pablo Escobar…
Je ne cesse de le répéter, mais je suis une énorme erreur de casting pour Narcos. Je suis brésilien, je ne parlais pas espagnol… et j'étais extrêmement maigre au lancement du projet. Je ne me serais jamais choisi pour ce rôle ! Pablo était gras, il m'a donc fallu grossir. J'ai mangé et mangé encore, mais je n'ai jamais pu atteindre sa corpulence – il y a une limite à ce que vous pouvez faire endurer à votre corps. J'ai donc fini par porter un faux ventre à la fin de la saison 1 et en saison 2, une prothèse qui m'a contraint à marcher le ventre en avant.
Qu'en est-il de l'importance de votre implication physique, plus généralement ? J'ai lu que vous aviez suivi un entraînement militaire très brutal pour le film Troupe d'élite. Avez-vous besoin de vous faire violence, d'une façon ou d'une autre, pour entrer dans vos rôles ?
Je finis toujours par me faire du mal, mais je ne le fais jamais consciemment. Je ne décide pas arbitrairement que mon personnage va marcher comme ceci ou comme cela. C'est organique. Je me mets à bouger naturellement comme il semble devoir le faire. Ça vient toujours de l'intérieur, et ça se déplace vers l'extérieur. Ceci étant dit, j'adorerais faire comme ces acteurs qui doublent de volume pour jouer un boxeur. L'autre jour j'ai regardé La Rage au ventre, avec Jake Gyllenhaal. J'aimerais tellement pouvoir transformer mon corps et ressembler à ça ! (rires)

Pablo est considéré par ses admirateurs comme une sorte de dieu et il se pense invincible. Devez-vous l'incarner comme un être tout-puissant ?
La saison 2 de Narcos parle justement de cela, et détruit peu à peu cette vision du personnage. L'homme fort apparaît en saison 1. Cette nouvelle saison est l'histoire de sa chute. Du coup, c'est une approche bien plus émotionnelle, personnelle, intime de l'homme. Tout le monde, même quelqu'un d'aussi puissant que Pablo, finit par craquer. Et c'est fascinant de saisir ce moment de bascule, cette rupture existentielle.
Au fond de lui, qui est « votre » Pablo ?
Un personnage de fiction est toujours un mélange de faits, de ce qui est écrit sur lui – par l'Histoire ou par un scénariste – et de vous-même. Je ne comprends pas ces comédiens qui prétendent dissocier intégralement un rôle de leurs propres émotions. Pablo, c'est moi. C'est un personnage, bien sûr, mais je ne l'invente pas, il vient de moi, de ma vie, de mon être. Je dois m'écouter, creuser en moi pour trouver la façon dont je réagirais dans les situations qu'affronte Escobar. Donc, « mon » Pablo est aussi le résultat de ce que j'ai appris sur moi à son contact. Jouer dans Narcos m'a contraint à m'aventurer dans les recoins les plus sombres de mon âme.
Qu'avez-vous tiré de vos recherches sur Escobar ?
Je ne savais rien sur lui avant de commencer ma préparation. Ça a été un processus sur la durée, qui a débuté par des lectures et s'est étalé sur l'ensemble du tournage, où mon interprétation de scènes qu'il a dû vivre m'a informé sur le genre d'homme qu'il a peut-être été. C'était un type complexe, certes mauvais mais charismatique, drôle, intéressant, capable d'une vraie sensibilité et de moments de tristesse. Il aimait sa femme, et c'était un bon père – j'ai découvert un enregistrement fascinant où il lit des histoires à sa fille, en prenant des voix enfantines. Ça aurait été une erreur de jouer Pablo le capo, le mafieux brutal et sans nuance.
C'était aussi une figure politique, un héros du peuple, en un sens. Qu'en faire dans Narcos ?
La Colombie est, politiquement, un pays extrêmement complexe, déchiré entre les guérillas, les trafiquants, les paramilitaires… Encore aujourd'hui, si vous allez dans le quartier que Pablo a fait construire, des rues où le gouvernement n'allait pas, à l'époque, vous trouverez certains de ses admirateurs. Je ne peux pas juger quelqu'un reconnaissant à ce bienfaiteur d'avoir offert une maison à sa famille. Mais l'essentiel de la Colombie, qui est un pays moderne, avec une élite intellectuelle brillante, n'est pas dupe. Le trafic de drogue n'était pas, à l'époque, perçu comme un véritable problème, d'autant qu'il faisait entrer beaucoup d'argent dans l'économie du pays. C'est quand la violence a éclaté que les citoyens ont réalisé qui était vraiment Escobar.
Escobar était un milliardaire, populiste, qui se rêvait en patron de la Colombie. On trouve quelques-uns de ces personnages dans la vie politique actuelle…
Ils sont particulièrement présents en Amérique du Sud, où les citoyens sont souvent vulnérables, faiblement éduqués. Ils font du clientélisme, font construire des écoles ou des maisons, s'occupent du peuple le temps des élections, puis passent à autre chose.



Vous avez fait des études de journalisme. Incarner un personnage bien réel comme Pablo Escobar, est-ce mener une forme d'investigation ?
En un sens, oui. C'est dur de dire si c'est un calcul rationnel ou une réaction naturelle. Je n'ai pas été journaliste depuis près de vingt ans, mais j'ai adoré cette période de ma vie. J'ai beaucoup écrit sur la politique.
Ce n'est pas gâcher le plaisir du spectateur que de dire que Pablo va mourir au terme de cette saison 2. L'histoire est ainsi faite…
Pablo était un homme intelligent. Il a compris qu'il allait mourir. C'était un guerrier, il s'est donc battu jusqu'au bout. Il n'a jamais baissé les bras. Son dernier combat a été de faire sortir sa famille du pays.
Que disait votre contrat sur la longévité du personnage au sein de la série ?
J'ai signé pour deux saisons, mais Netflix pouvait décider de ne m'en faire jouer qu'une. J'ai appris assez vite qu'il faudrait que je revienne, parce que l'histoire n'était pas complète à la fin de la première saison, et qu'on ne pouvait pas escamoter la mort d'Escobar.
Narcos peut-elle vraiment continuer, dans une saison 3, sans lui ?
Je pense. L'idée de Narcos a toujours été de raconter l'histoire du trafic de drogue. Pablo n'en est que le commencement. Il y a tellement d'autres choses passionnantes, dingues à raconter, que j'ai lues quand j'ai étudié la question. Le cartel de Cali à lui seul peut porter la série. Donc, j'espère que Narcos continuera.
Que garderez-vous de ce rôle ?
Ça a été une expérience majeure dans ma vie, culturellement, émotionnellement, politiquement. Hormis Hamlet, que j'ai joué pendant trois ans au Brésil il y a quelques années, Escobar est le rôle avec lequel j'ai passé le plus de temps. C'est difficile de dire ce que j'ai appris grâce à lui. Tout ce que je sais, c'est qu'après ça, je dois faire une pause dans ma vie d'acteur. Je vais réaliser un film, mais il me faut attendre avant de jouer à nouveau. Pablo est encore en moi, dans mon esprit et dans mon corps. Je dois continuer de perdre du poids, et retourner vivre au Brésil, me reconnecter avec ma culture.
Le succès à l'international de la série pourrait pourtant vous ouvrir pas mal de portes, notamment à Hollywood…
Je n'ai pas besoin d'être à Los Angeles pour travailler là-bas… J'espère que ma carrière va s'internationaliser, que je vais pouvoir travailler aux Etats-Unis bien sûr, mais maintenant que je parle espagnol, je peux aussi tourner au Mexique, en Argentine ou en Espagne ! Pour être honnête avec vous, je n'ai pas encore ressenti l'impact de Narcos sur ce plan-là… Quoi qu'il en soit, la situation politique au Brésil est catastrophique, le pays est divisé, nous traversons un moment très difficile. Je ressens le besoin d'être à Rio, de m'impliquer. Le long-métrage que je prépare se tournera là-bas. C'est un film politique, sur Carlos Marighella, le leader d'une guérilla communiste, figure de la résistance durant la dictature militaire brésilienne.
N'avez-vous pas peur d'être coincé dans le rôle de Pablo, de rester « le type qui joue Escobar » ?
Je ne crois pas. Pendant des années, j'étais connu uniquement pour les films Troupe d'élite, qui ont cartonné au Brésil. Mais je savais que ça passerait. Il en sera de même pour Pablo. Je ne suis pas inquiet. Je n'ai qu'une peur : ne pas parvenir à me débarrasser de lui intimement, le garder en moi, ne pas parvenir à me libérer de ses manières, de sa façon de parler, de bouger, de marcher…

Fonte: Telerama



Comentários

  1. Ahh, Wagner! Se já te amava, depois sua performance em Narcos, te amo muito mais ❤

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  2. Obrigada por nao fazer o papel do Sérgio Mouro. Eu iria começar a detestar o cara mais honesto que esse país já teve. VIVA SERGIO MOURA. Continue fazendo bandido. Já está no seu DNA.

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